DÉSINFORMATION : 10 POINTS CLÉS SUR L'AFFAIRE "TEAM JORGE"

Un consortium international de journalistes (Story Killers, Le Monde, The Guardian, Forbidden stories, etc.), a révélé le 14 février 2023 les activités de manipulation, de désinformation et d’ingérence réalisées par une agence officieuse basée en Israël : “Team Jorge”. Entre autres “faits d’armes” son CEO, Tal Hanan, (nom de code Jorge), se vante d’avoir planifié 33 opérations pour des élections présidentielles sur plusieurs continents, dont 27 couronnées de succès, ou encore d’avoir diffusé des brèves sur BFM TV par l’intermédiaire du journaliste Rachid M’Barki (depuis mis à pied pour enquête interne)…

Cet admirable travail d’investigation effectué pour partie sous couverture a le double mérite de mettre en lumière la pratique de la désinformation à une échelle industrielle, mondialisée, ainsi que le rôle des nouvelles technologiques dans cette menace pour les sociétés démocratiques et la transparence civique. Il se base notamment sur les recherches effectuées par la journaliste indienne Gauri Lankesh, assassinée en 2017.

 

AFFAIRE « TEAM JORGE » : SYNTHÈSE DE CES REVELATIONS GLAÇANTES EN 10 POINTS

 

  • L’enquête sur Team Jorge est liée au scandale de Cambridge Analytica, qui mentionnait en 2018 des sous-traitants israéliens “experts dans le hacking”. Son CEO, extrêmement prudent, n’est connu de ses clients et partenaires que sous le pseudonyme de “Jorge”.

 

  • Certaines démonstrations seront proposées en direct aux journalistes infiltrés, se faisant passer pour des clients, au cours de plusieurs entretiens. Parmi les services : catalogue de bots (réseau de robots gérés par des opérateurs) pour propagation de fausses informations, hacking d’adversaires, recours à l’IA afin de rédiger des posts viraux, piratage à distance de comptes Telegram, collecte de données personnelles et localisation via Internet ou des réseaux téléphoniques, reconnaissance faciale et interceptions mobiles.

 

  • Jorge est en mesure de faire passer un message à la télévision française, sur une chaîne d’information continue de portée nationale. Le journaliste Rachid M’Barki présente devant les caméras de BFM TV, une brève concernant les difficultés du secteur du yachting à Monaco depuis les sanctions contre la Russie, que Jorge décrit comme une commande passée par un client. Cette révélation provoquera à terme la mise à pied du journaliste et une enquête interne pour non-respect réitéré des processus de validation.

 

  • Une armée de 40 000 faux-profils afin de diffuser des discours orientés. L’outil développé par les équipes de Jorge AIMS (Advanced Impact Media Solutions) est un créateur d’avatars sur divers plateformes (Twitter, Instagram, Facebook, AirBnb, Amazon, Bitcoin), plutôt convaincants, avec une biographie et une activité en réseaux.

 

  • Pour prouver l’efficacité de ce réseau d’avatars contrôlés par des opérateurs humains (ratio de 1 opérateur pour 300 robots environ), Jorge lance le hashtag #RIP_Emmanuel (oiseau star d’Internet), qui sera repris en cascade autour du globe pour impacter le plus de zones possibles. Cependant, ce cas pratique permettra aux journalistes d’identifier certains de ces avatars.

 

  • Ces « campagnes d’influence » n’épargnent aucun continent et aucun secteur. Ainsi, l’agence de sécurité sanitaire britannique a été attaquée par les avatars AIMS en 2021 après ouverture d’une enquête sur un laboratoire suspecté de délivrer de faux résultats négatifs au covid. L’homme d’affaires hong-kongais George Chang a lui été dénigré quand l’ancien haut fonctionnaire mexicain (par ailleurs réfugié en Israël sans accord d’extraction) a été défendu par le réseau AIMS. Outre la diffusion d’un message, les avatars sont en mesure de créer du contenu à partir de mots clés entrés par l’opérateur selon un ton “négatif”, “neutre” ou “positif”. L’IA génère pour l’exemple dix tweets adaptés sur le gouvernement tchadien en autant de secondes.

 

  • Piratage d’appareils optionnel. Jorge dévoile avoir accès à plusieurs comptes Gmail ou Télégram d’hommes politiques africains. Parmi eux, des proches de William Ruto, le futur président kényan.

 

  • Derrière le pseudo de Jorge, se cache en réalité Tal Hanan, PDG de Demoman International. Celui-ci, actif depuis au moins 1999, s’est construit une équipe secrète aux profils variés basée sur d’anciens dirigeants de sociétés de sécurité (Mashi Meidan, au Panama, ou son propre frère Zohar Hanan en Israël), d’anciens officiers du renseignement intérieur (Shuki Friedman), des dirigeants de sociétés dans le numérique (Yaakov Tzedek, à la tête du Tzedek Media Group) ou encore des lobbyistes (Ishay Shechter, directeur de la stratégie chez Goren Amir).

 

  • Le groupe Demoman est bien implanté à l’international, avec des bureaux et des représentants en Israël, en Suisse, aux États-Unis, en Suisse, en Espagne, en Croatie, aux Philippines et en Colombie (les antennes du Mexique et d’Ukraine auraient été fermées selon Tal Hanan à cause des affaires ou de la guerre).

 

  • Preuve de la forme économique du “secteur” de la désinformation, le prix d’une “campagne d’influence” aurait augmenté de 3000% depuis la fondation de Demoman. En effet, celui-ci était initialement fixé à 200 000 $ (160 000 pour une “phase de recherches et de préparation” et 40 000 de “frais de déplacement”), tandis qu’il est de près de 6 M € en 2022.

 

Lien vers le rapport complet : https://forbiddenstories.org/story-killers/team-jorge-disinformation/