Deux fois par mois, Sesame It se débranche des flux de l’actualité – mais pas du réseau, c’est promis – pour vous plonger dans les archives de la cybersécurité, de ses origines nébuleuses jusqu’à l’avènement de l’homo numericus.

Aujourd’hui, arrêt sur image en 1834, sous la monarchie de Juillet, pour l’Affaire des télégraphes ou le premier “piratage” recensé. Car oui, les précurseurs des hackers sont Français… Cocorico ! Ou pas…
 

Contexte : des télégraphes optiques pour l’usage du gouvernement


Durant ces temps troublés, la guillotine n’est pas la seule machine à fonctionner à plein régime en France. En effet, entre deux têtes coupées, le pays s’est équipé depuis la Révolution de télégraphes placés au sommet de tours, dits Chappe, du nom de leur inventeur. Ce système reliant les principales villes du territoire permet d’envoyer un signal optique d’une tour à une autre, qu’un opérateur reproduira pour la station suivante, et ainsi de suite, jusqu’à sa destination, où un manuel permettra à un employé de le décoder.

Ce moyen moderne de communication génère un gain de temps considérable par rapport à la Poste ou aux pigeons voyageurs, mais reste l’exclusivité du gouvernement pour des décrets ou des ordres militaires. Ainsi, il faut encore trois jours pour que Bordeaux soit informé des mouvements financiers de la bourse de Paris. C’est dans ce contexte que les frères Blanc, deux entrepreneurs, voient l’opportunité de s’enrichir, et vont la saisir.
 

Piratage du réseau en bande organisée


Spécialisés dans les bons du Trésor public, les frères Blanc ont tout intérêt à connaître les tendances de la bourse de Paris. Leur modus operandi comporte trois phases. Tout d’abord, ils se dégotent un complice dans la capitale, chargé d’envoyer à Tours, à l’adresse d’un agent des télégraphes soudoyé, une paire de gants ou une paire de bas gris lorsque le cours est en baisse ; au contraire, des gants blancs ou un foulard en cas de hausse. L’agent de Tours introduit ensuite un caractère spécial lors de la phase de correction des dépêches, lequel sera reproduit en cascade sur l’ensemble du réseau. Enfin, un ex-agent des télégraphes repère le message caché sur la tour de Bordeaux et le transmet aux frères Blancs, qui ont ainsi plusieurs heures d’avance sur la concurrence. Cette méthode frauduleuse mais non moins ingénieuse leur permet d’engranger d’énormes profits durant deux années.

 

Procès et conséquences : loi sur l’usage des télécommunications


Après avoir été finalement découverts, les frères Blancs sont traduits en justice en 1836, mais le procès n’aboutit à aucune condamnation faute de loi contre l’utilisation abusive d’un réseau de télécommunications… Le rapporteur Portalis tentera de corriger cette carence juridique : “L’esprit humain est inépuisable en ressources nouvelles et il s’agit de prévoir ce qui n’existe pas encore, ce qui n’a été ni connu, ni imaginé […]”.

Morale de l’histoire d’après le journaliste Norédine Benazdia (Usbek & Rica) : qu’importe la technologie, la sécurité est comme une chaîne et l’humain est toujours le maillon faible. Les attaques réseaux sont aussi vieilles que les réseaux. Et peu importe l’invention, l’humain cherchera toujours à la détourner à son profit.


Auteur : Musashi
Article publié le 16 février 2023